Eastern Jarash Project
Responsable : Julie Bonnéric
Ce programme vise à renouveler notre compréhension de l’une des plus importantes agglomérations de la région et sera l’occasion de proposer une synthèse sur les périodes islamiques, beaucoup moins bien connues en Jordanie que les périodes romaine et byzantine. Le site de Jérash offre un terrain diachronique exceptionnel pour comprendre, dans le contexte de l’avènement de nouveaux systèmes politiques, sociaux, culturels et religieux, les évolutions d’une cité antique et sa marginalisation progressive. Des études ponctuelles sur les occupations islamiques ont déjà été publiées, mais aucune vision globale n’a encore été mise en avant.
L’arrivée de l’Islam a longtemps été considérée comme à l’origine du déclin des villes du Proche-Orient, en particulier Jérash. Les archéologues ont néanmoins mis en évidence, en particulier à partir des années 80, une occupation très dense de la ville jusqu’au tremblement de terre de 749, donc jusqu’à la fin de la période omeyyade (Barghouti 1982 ; Clark et al. 1986 ; Gawlikowski 1986 ; Ostrasz 1989 ; Pierobon 1984 ; Walmsley 1986 ; Zayadine 1989.). Trois missions ont réalisé des fouilles ayant comme objectif spécifique l’étude des niveaux omeyyades : the Islamic Jarash Project (2002-2012, dir. Alan Walmsley), the Danish-German Jerash Northwest Quarter Project (2011-2016, dir. Achim Lichtenberger et Rubina Raja), the Late Antique Jerash Project (2015-2017, dir. Louise Blanke). D’autres découvertes ont été réalisées dans le cadre de missions se concentrant de manière générale sur la période romaine, en particulier dans le cadre du Jerash Archaeological Project (1981-1988) qui a réuni six équipes internationales. Contrastant avec les hypothèses anciennes, ces travaux offrent le portrait d’une ville omeyyade économiquement florissante, avec de nombreux pôles artisanaux et un souk important et densément peuplée.
Ce programme de recherche s’appuie également sur une nouvelle mission archéologique, le Eastern Jarash Project, qui explore la partie orientale de la ville, à l’est du cardo maximus, l’axe principal divisant du nord au sud la cité en deux. La partie occidentale de la ville a été la plus fouillée car s’y élevaient les vestiges monumentaux des temples et des églises lors de la redécouverte du site au début du 20ème siècle. La partie orientale n’a été que peu explorée car elle a été réoccupée à la période moderne et est désormais très densément urbanisée. Tout un pan de la ville nous est donc quasiment inconnu, à l’exception d’un complexe balnéaire monumental, appelé « bains est », et d’églises. Seule une bande longeant le cardo sur son côté oriental est encore vierge de construction et incluse dans la zone archéologique protégée. Elle n’a été que très peu étudiée. Il est fondamental de déterminer l’extension urbaine de Jérash à l’époque omeyyade pour déterminer si la ville s’est réellement développée ou non, mais aussi d’identifier la nature de cette occupation pour comprendre le fonctionnement économique et le rôle politique de la cité.
Le Eastern Jarash Project se concentre sur une large zone (environ 400 m N/S et max. 100 m E/O) délimitée à l’ouest par le cardo romain, les decumani au sud et au nord, et la rivière Chrysorhoas à l’est. La 1ère campagne (2022) s’est intéressée à un bâtiment imposant, fouillé par le Department of Antiquities of Jordan (DoAJ) en 2001. Cet edifice, appelé bâtiment A, date probablement de l’époque byzantine et est transformé à l’époque omeyyade. Il n’a pas été publié et peu documenté par ses découvreurs. Sa fonction et sa chronologie reste à éclaircir.
Au moment du tremblement de terre de 749, qui scelle son occupation, l’édifice était alors organisé autour d’une cour centrale (min. 240 m²) dallée au moins sur sa partie orientale. La partie occidentale pourrait avoir été utilisée comme surface de circulation sur la roche-mère, déjà taillée et aplanie par une carrière antérieure. La cour était bordée d’un portique sur au moins trois côtés, à l’est, au nord et au sud. La partie ouest n’a pas du tout été fouillée et l’existence d’un portique n’est pas exclue. A l’est, et probablement au nord et au sud, des ailes de pièces étaient accessibles depuis le portique, et éventuellement depuis l’extérieur. L’édifice recouvrait une superficie importante, d’au moins 650 m². L’aile orientale était composée d’au moins six pièces, de taille variable, ouvrant toutes sur le portique. D’après les découvertes réalisées dans les pièces R5 et R6, un étage peut être restitué : il était supporté par des voûtes, reposant sur des piliers ou des impostes en encorbellement encore partiellement visibles. Les murs de l’étage étaient recouverts d’enduits peints tandis que ceux du rez-de-chaussée étaient nus. Le sol de l’étage comportait un pavement de mosaïque au moins au niveau de la pièce R4. Le sol était en terre battue au rez-de-chaussée, au moins dans les pièces R4 et R5, et probablement à l’étage au niveau de la pièce R5. L’aile orientale et son portique étaient construits sur deux voûtes longitudinales, construites le long de la colline, pour former une plateforme compensant la pente naturelle. La voûte située sous l’aile orientale faisait au moins 3 m de hauteur.
Coupe architecturale N-S de l’aile orientale, avec restitution de la voûte et de l’étage (Emmanuelle Devaux et Arthur Moumneh).
L’emplacement du bâtiment A est particulièrement intéressant. Il est situé au maximum à 33 m du cardo, l’axe central de la ville romaine et probablement des villes byzantines et omeyyades. L’occupation du cardo à ces deux périodes est peu connue car il a été vidé dans les années 70 par le Département des Antiquités de Jordanie. Sur toute sa longueur, le cardo romain était bordé à l’est et à l’ouest par un portique donnant accès à des boutiques. Il semble que ces boutiques aient été en fonctionnement, au niveau du bâtiment A, au moins jusqu’à la période byzantine (Baldoni 2019). Il n’est pas exclu que ce large édifice à cour soit lié aux activités économiques du cardo et soit une maison de marchand.
Proposition de restitution 3D du bâtiment A dans sa dernière phase d’occupation, avant le tremblement de terre de 749, travail en cours (Arthur Moumneh).
Responsable : Julie Bonnéric
Archéologues : Tareq Awwad, Julie Bonnéric, Ahmad Thaher
Architectes : Stéphanie Cunin, Emmanuelle Devaux, Arthur Moumneh
Céramologue : Raffaela Pappallardo
Financements : Ifpo, Scac de l’Ambassade de France en Jordanie, Laboratoire CNRS – CIHAM, Appel d’offre CNRS.