Écritures cryptées dans l’Orient ancien et médiéval | Cryptés. Du Coran à la monnaie : Formes et fonctions des chiffres dans la culture manuscrite arabo-islamique. Arianna D’Ottone Rambach| 17 octobre 2024, en ligne
L’usage d’écritures cryptées peut relever de perspectives différentes. C’est avant tout un moyen de rendre lisible un message au seul initié ou personne autorisée. Si dans certains cas il s’agit de vouloir cacher un message, une information, dans d’autres, le cryptage apparaît comme un savoir d’érudit qu’il convient parfois de protéger.
Dans l’Orient médiéval, des manuels d’administrations et des traités sur les arts de gouverner recommandent de crypter les informations circulantes entre les différents services étatiques ou pour relayer les informations sensibles touchant au domaine militaire. C’était une pratique répandue comme l’attestent de nombreux manuscrits arabes médiévaux aux colophons cryptés ou sur lesquels étaient apposées des inscriptions comprenant des lettres mystérieuses et des formules. Le chiffrage de l’information et son décryptage deviennent l’objet de savoirs techniques dès le début du califat abbasside : les premiers traités en langue arabe consacrés à l’art de chiffrer les messages et de les décrypter sont composés au cours des 9e et 10e siècles. L’intérêt pour la cryptologie s’affirme également dans les milieux littéraires avec l’émergence de la poésie cryptée favorisant ainsi l’émergence d’une cryptologie dite récréative.
Au Proche-Orient ancien, dans les traditions cunéiformes des 2e et 1er millénaire av. J.-C., la cryptographie était affaire d’érudits et de savoir de l’écriture. D’une part, elle permettait aux scribes de montrer leur savoir, leur capacité à manipuler les signes cunéiformes aux nombreuses valeurs logographiques et syllabiques : plus ils étaient compétents, plus ils connaissaient de valeurs rares des signes et plus ils pouvaient « jouer » avec. D’autre part, au 1er millénaire av. J.-C., les scribes mésopotamiens ont vanté l’aspect secret de leur écriture qui ne pouvait être diffusée au non-initié et multiplié l’usage de la cryptographie.
Dans une perspective diachronique, nous proposons de mettre en regard les différentes techniques de cryptage, leurs fonctions et usages, leur théorisation le cas échéant et leur constitution en savoirs.
Organisation : Carole Roche Ifpo/DAHA – Eugénie Rébillard ifpo/DEAMM
Contact : e.rebillard@ifporient.org
Prochaines séances
Séance 5
Jeudi 17 octobre de 15h à 17h (Paris) – 16h à 18h (Beyrouth).
En ligne
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Cryptés. Du Coran à la monnaie : Formes et fonctions des chiffres dans la culture manuscrite arabo-islamique par Arianna D’Ottone Rambach / Sapienza – Università di Roma
La (re-)découverte de deux Corans cryptés permet de développer quelques réflexions sur l’emploi des chiffres (al-kitāba al-sirriyya) dans la culture arabo-islamique. Les textes cryptés seront considérés dans le contexte de la production manuscrite arabe et, en particulier, dans la perspective de la production du livre sacré islamique. Les textes en chiffre arabo-islamiques seront par ailleurs mis en dialogue avec d’autres témoignages de cryptographie en d’autres langues et différentes époques. De plus, la diffusion dans le contexte économique contemporaine aussi bien islamique qu’international de la cryptomonnaie (al-ʿamalāt al-raqamiyya), est l’occasion de traiter du développement de cette forme particulière de monnaie virtuelle. Au-delà du type d’objet crypté – mots isolés, textes brefs, livre-s sacré-s, monnaies – l’emploi de chiffres se lie souvent à un souci de confidentialité qui enfonce ses racines dans des motivation religieuses – communication protégée d’une minorité au sein d’un contexte majoritaire adverse – ou politiques – protection de données personnelles pour éviter des contrôles. Cela amène à la création et à l’emploi de systèmes graphiques (ou économiques) parallèles qui, contournant les conventions, offrent un espace alternatif d’échange.
Spécialiste de manuscrits et de numismatique arabes, Arianna D’Ottone Rambach est professeur associé de Langue et littérature arabe à Sapienza – Université de Rome. Elle a aussi enseigne Codicologie et Paléographie arabes, et Numismatique, en Arabie Saoudite (Djeddah, 2022), au Mali (Bamako, 2023) et aux Pays-Bas (Leyde, 2018). Elle est autrice et (co-)directrice de plusieurs ouvrages dont, récemment, The Damascus Fragments: Towards a History of the Qubbat al-khazna Corpus of Manuscript and Documents, Beirut 2020 ; “In Defence of Arabic Palaeography”, Journal of the Economic and Social History of the Orient 66 (2023) ; “When Popes Wore Arabic Clothes. Arabic Script and Pseudo-Script in the Mosaics of Santa Maria in Trastevere (Rome, 12th century): A Mediterranean Perspective”, Arte Medievale (2024).
Séance 6
Jeudi 21 Novembre de 15h à 17h (Paris) – 16h à 18h (Beyrouth).
Les manuscrits de cryptologie de la collection Ulahbib en Algérie.
Djamel -Eddine Mechehed. Bibliothèque de manuscrits Ulahbib -Béjaia
Séance 7
Jeudi 12 Décembre de 15h à 17h (Paris) – 16h à 18h (Beyrouth).
The Origin of Cryptography and its Development in the Ancient Egyptian Civilization.
Nagwa Metwalli / General Director of the Scientific Publication Department, Egyptian Ministry of Tourism and Antiquities.
Séance 8
Jeudi 25 janvier 2025 de 15h à 17h (Paris) – 16h à 18h (Beyrouth).
Coptic Cryptography in Egypt’s Late Antiquity
Hind Salah al-Din/ Université du Caire
Séances passées
Séance 1
Jeudi 4 avril 2024 de 15h à 17h (Paris) – 16h à 18h (Beyrouth)
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Analyse arithmologique d’un carré magique des 99 Noms Divins attribué à Aḥmad al-Būnī (m. 622/1225), par Nadir Boudjellal /Inalco
Les talismans et autres applications des propriétés magiques des lettres peuvent camoufler, derrière une façade populaire, des conceptions ésotériques à destination d’une élite spirituelle prête à les méditer. Les valeurs numériques des 99 Noms Divins en islam, répartit à l’intérieur d’un carré magique aux origines mystérieuses, présente une harmonie mathématique résistante à toute tentative de formalisation. La proximité de certains Noms et nombres dans ce carré dévoile aussi de subtiles expressions doctrinales.
Nadir Boudjellal prépare une thèse en islamologie sur les lettres isolées du Coran à l’Inalco.
Séance 2
Jeudi 25 avril 2024 de 15h à 17h (Paris) – 16h à 18h (Beyrouth)
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Chiffrement et déchiffrement de l’arménien, systèmes cryptographiques dans les manuscrits anciens, par Chahan Vidal-Gorène (École nationale des Chartes/PSL)
Plusieurs dizaines de méthodes de chiffrement sont attestées dans les manuscrits anciens arméniens. Si la plupart d’entre eux ne pose pas de difficulté majeure, leur variété témoigne d’un véritable intérêt pour cette science du secret. L’intervention présentera une vue d’ensemble des systèmes utilisés et des clefs pour leur résolution. Nous nous intéresserons particulièrement à leur déchiffrement automatique avec des méthodes de vision par ordinateur et des défis qu’ils posent dans le cadre de la reconnaissance automatique des écritures par IA.
Chahan Vidal-Gorène est président-fondateur de Calfa. Il dirige le master Humanités Numériques de l’École nationale des Chartes/PSL, où il achève une thèse en paléographie arménienne computationnelle.
Séance 3
Mercredi 19 juin 2024 de 15h à 17h (Paris) – 16h à 18h (Beyrouth)
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The “Book of the Passionate Desire for the Knowledge of the Characters” by Ibn al-Wahshiyya. A Treatise on Secret Alphabets and Hieroglyphs
Isabel Toral (Freie Universität Berlin) et Annette Sundermeyer
The presence of cryptographic writings and a fascination with unusual alphabets has been well documented in Arabic textual tradition since at least the eleventh century. This interest seems to have served both an interest in the occult, and a practical need for confidentiality in different contexts. One of the most notable works in this context is the « Book of the Passionate Desire » (also known as « Ancient Alphabets and Hieroglyphic Characters »), attributed to the mysterious 10th-century alchemist Ibn al-Wahshiyya. In this presentation, we will introduce you to the complex textual history of this composite work (which seems to be partly a hybrid of Western and Eastern traditions), explore its intertextual relationship to other books of the genre, and speculate on its possible « Sitz im Leben ».
Séance 4
Jeudi 26 Septembre de 15h à 17h (Paris) – 16h à 18h (Beyrouth)
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Sasanian Monograms: An Example of Cryptic Writing from Ancient Iran.
Les monogrammes sassanides : un exemple d’écriture cryptée en Iran ancien
Olivia Ramble Université d’Oxford/AMES (Faculty of Asian and Middle Eastern Studies).
Dans le cadre de l’épigraphie sassanide, le terme de « monogramme » désigne des motifs composés qui présentent la particularité de combiner des signes alphabétiques avec des formes géométriques, comme le cœur, le croissant de lune et le cercle. Ces différents éléments sont organisés de part et d’autre d’un axe central et on peut observer un intérêt marqué pour l’équilibre esthétique de la composition : une grande partie des monogrammes sassanides présentent une symétrie parfaite. Dans bon nombre d’exemples, les éléments alphabétiques qui composent le motif présentent une forme si stylisée et épurée qu’il est difficile d’identifier le graphème représenté – la frontière entre forme géométrique et graphème se brouille. En tant que tels, les monogrammes sassanides sont un exemple frappant de la fusion d’un texte et d’une image et la création d’un motif hybride, à la fois inscription et symbole.
Les monogrammes sassanides se retrouvent dans plusieurs contextes et plusieurs matériaux différents. Ils décorent les coiffes et les vêtements des dignitaires dans les bas-reliefs rupestres monumentaux ; un monogramme monumental moulé dans du stuc ornait l’entrée du palais royal de Ctésiphon. Le corpus de monogrammes sassanides le plus important appartient à la glyptique : une importante série de sceaux en pierres semi-précieuses présente ces motifs composés, parfois accompagnés de légendes. Les chercheurs ont longtemps favorisé l’hypothèse selon laquelle les monogrammes sassanides recelaient le nom du porteur du sceau, ou du personnage dont le vêtement et la coiffe en étaient ornés.
Cette étude propose dans un premier temps l’analyse et la lecture d’un choix de monogrammes en cherchant la clé de leur déchiffrement au-delà du domaine de l’onomastique. Au-delà de leur déchiffrement, il s’agira de mettre en valeur le ‘jeu’ érudit proposé par le scribe-compositeur du monogramme dans chacune des compositions : aux jeux de mots et rébus s’ajoutent un jeu graphique qui nous force à remettre en question l’opposition binaire traditionnelle entre texte et image.
Crédits image de mise en avant : Carole Roche-Hawley