La destructivité en œuvres, essai sur l’art syrien contemporain
Nibras Chehayed et Guillaume De Vaulx d’Arcy
Édition (s) : Presses de l’Ifpo |
Résumé
Onze œuvres de Syrie. Oui, mais que peut l’art dans un pays détruit ? Presque rien, hélas… Cet essai se raccroche à ce presque décisif qui se refuse pourtant au rien. L’espoir révolutionnaire évanoui, le peuple vivant au milieu des décombres et hanté par les disparus, il a incombé aux artistes de penser ce monde inédit et d’esquisser l’esthétique d’un monde qui s’effondre. Assumant l’ampleur de la catastrophe, quand tout semble devenu impossible, c’est munis des outils rudimentaires du peintre, du sculpteur ou du vidéaste qu’ils ont créé de nouveaux positionnements face au destructeur et vis-à-vis de ceux sur qui s’acharne sa destruction. Dégradation chimérique, art de la contre-esquisse, art de la collapside, de la pan-obscurité, discrétion ab-cène, tragique ultime, confrontation au don et au deuil impossibles, refus de l’abjection, l’événement esthétique se constitue en événement éthique, et laisse émerger un réel qui se désidentifie de la logique destructive dominante. Dans cette traversée que propose l’ouvrage, l’art syrien contemporain devient ainsi, dix ans après le début de la révolution, de la contre-révolution et de la guerre, un lieu de réflexions philosophiques.
Les cinq premières œuvres se rapportent au destructeur tout puissant. Trois portraits du tyran indestructible sont l’occasion de penser la figure paradoxale du potentat de la fin, à la fois définitif et vain, qui ne construit pas un empire ni conduit l’histoire à cheval, mais précipite le monde vers sa disparition, et s’y précipite avec lui. Une quatrième œuvre répond à l’impossibilité de se prémunir des objets destructifs en domestiquant les obus qui ont envahi le monde, dans une tentative d’en différer la fin. La cinquième conduit à repenser la figure impossible du sauveur dans un tel contexte.
L’ouvrage s’arrête ensuite devant une seconde série de six œuvres qui traitent du réel du point de vue de ceux qui subissent la destruction, se confrontant ainsi à l’impossibilité d’y offrir une réponse adéquate. Dans des configurations de plus en plus restreintes du monde, quelle posture peut-elle encore être créée face au supplicié, au résistant vaincu, à l’agonisant, au cadavre, à ses restes et, ultimement, au disparu ? Et ces œuvres, que donnent-elles à penser de la destruction devenu principe généralisé, autrement dit destructivité en œuvre ?
Nibras Chehayed est architecte et docteur en philosophie. Il développe actuellement une recherche sur le corps tragique en Syrie dans le cadre d’un projet Marie Skłodowska-Curie à l’Université de Paris et à l’Institut français du Proche-Orient. Il a publié différentes études esthétiques, politiques et philosophiques comme Le corps aux fils de l’écriture. Nietzsche après Derrida aux éditions Classiques Garnier, et des traductions comme 19 femmes. Les Syriennes racontent de Samar Yazbek (en collaboration avec Emma Aubin-Boltanski). Il dirige actuellement deux ouvrages collectifs à paraître aux Presses de l’Ifpo et consacrés à la Syrie : Images de chair et de sang et Textes de chair et de sang.
Courriel : nibras.chehayed@u-paris.fr
Guillaume de Vaulx d’Arcy est docteur agrégé de philosophie, chercheur à l’Institut Français du Proche Orient (Liban), et membre de l’Institut Dominicain d’Etudes Orientales. Sa thèse doctorale porte sur la paternité et le commentaire philosophiques des Epîtres des Frères en Pureté (Rasa’il Ikhwan al-Safa), somme savante de l’âge arabe classique dont il traduit plusieurs traités (Mathématique et philosophie, Le procès animal de la domination humaine), et à partir desquelles il repense l’histoire de la philosophie, de la zoologie ou encore des traités politiques des IXe–Xe siècles arabes. En parallèle, il conduit une réflexion sur des questions de philosophie générale, proposant ainsi une théorie procédurale de l’identité dans Identités de papier. Essai sur la logique identitaire (à paraître).
Courriel : g.devaulx@ifporient.org