Aux marges du salariat ? Travailler et contester au Liban : du travail migrant à la grande distribution
Séminaire commun du Département des études contemporaines Ifpo, Observatoire des compétences et métiers de l’USJ, Orient Institut Beirut (OIB)
« Aux marges du salariat ? Travailler et contester au Liban : du travail migrant à la grande distribution »
Coordination
- Michele Scala (doctorant OIB, IREMAM, associé au Département des études contemporaines de l’Ifpo
- Nizar Hariri (maître de conférences, Faculté des Sciences économiques, Observatoire des compétences et métiers, USJ)
Présentation
Ce séminaire se propose d’ouvrir un espace de recherche et de discussion autour d’un grand absent des débats publics et scientifiques au Liban : le travail.
En réunissant des interventions de chercheurs, d’experts et d’acteurs, nous allons interroger le travail à partir du point de vue de travailleurs qui exercent une ou plusieurs activités à la marge des protections sociales qui s’avèrent intimement liées au travail salarié.
En effet, une ligne de partage essentielle paraît séparer le travail salarié, référence normée et protégée de travail, et le travail « sans droits » dans ses formes diverses : le travail précaire, à la tâche, mais aussi le travail plus durement exploité, plus ou moins volontaire, et parfois contraint ou tout à fait servile ou forcé. Le premier est censé inclure dans la société les travailleurs qui l’exercent en leur donnant accès à un ensemble de droits (protection sociales, aide à la scolarité, retraite, crédits bancaires, etc.). Le deuxième les exclut des droits, des protections et des bénéfices collectifs, les poussant dans la marginalité sociale et dans la précarité économique.
Or, une partie importante de la main d’œuvre, difficile à quantifier avec précision, s’inscrit au Liban dans des activités qui sont rarement assimilables au travail salarié. Du travail migrant à la grande distribution, en passant par des emplois exercés au cœur de l’État, les travailleurs sans droits, à la demande, journaliers, saisonniers et ainsi de suite, représentent des figures non négligeables du travail dans la grande et dans la petite distribution alimentaire, dans l’industrie, dans la construction, dans les transports…, mais aussi au sein des entreprises d’État et des ministères, c’est-à-dire, là où la norme salariale avait constitué la forme d’emploi dominante. Dans l’emploi public, notamment à partir des années 2000, les contractuels d’État (partiellement protégés dans le cadre du Code du travail), les travailleurs journaliers, ghabb el-talab, bilfatura, etc., ont dépassé en nombre leurs collègues titulaires.
Pour cela, organiser une réflexion autour du travail nous paraît ne pas pouvoir faire abstraction de ces figures de l’activité laborieuse. Dans le cadre de ce séminaire nous souhaitons interroger la manière dont on appréhende, le plus souvent, le travail « sans droits », perçu comme une dérogation à la forme normale (car normée) du travail salarié. L’objectif sera donc d’inverser la perspective en partant des expériences observées dans différents secteurs pour construire une image nouvelle de ces mondes du travail plutôt que de les envisager d’emblée comme des exceptions à la norme. Le travail précaire, informel, le travail migrant dans les foyers domestiques, dans l’industrie, dans les services, les formes plus ou moins dissimulées de péonage dans l’agriculture, ou le travail des enfants se situent-ils vraiment aux marges des configurations contemporaines des relations de travail et de l’économie locale et transnationale, ou en constituent-ils un élément (con)substantiel ?
Dans le cadre de ce séminaire nous souhaitons, d’une part, interroger la marginalité économique et sociale de ces activités et des acteurs qui les exercent. D’autre part, et compte tenu du regain de luttes sociales dans des mondes du travail divers et différemment touchés par la précarisation et/ou l’illégalité des emplois, contribuer à éclaircir les dynamiques d’organisation et de résistance qui se produisent dans ces mondes du travail.
Abstract
This seminar aims at creating a space for discussion around “labour”, an issue that is scarcely studied, and widely absent from public and scientific debates in Lebanon.
By bringing together the studies of various researchers, experts and actors in this field, this seminar analyzes labour from the workers point of view, in particularly those who carry out one or more activities at the margins of the legal and social protections which, in turn, are mainly restricted to wage labour.
Hence, addressing labour in these specific contexts is a difficult task. However, a first dividing line could be drawn between “wage labour” – which constitutes the norm of reference of protected labour – and labour “without rights” in its different forms: precarious work, work on demand, but also other forms of work exploitation, that could be more or less voluntary, forced or servile. The former is supposed to include workers in society by giving access to rights (social protections, school allowances, retirement pension, but also bank loans, etc.). The latter denies workers the access to those rights, excluding them from social protection, collective benefits and social welfare.
Yet, an important part of the labour force in Lebanon – even though not readily measurable – relies on labour forms that hardly fits the model of wage labour. Workers without rights represent significant figures of the labour activity, from migrant work to large retail chains, including precarious employment within the public sector (contract-workers, daily-workers, ghabb el-talab, bilfatura, etc.). Especially in the public sector, contract-workers (who might still be considered as partially protected by the Labour Code) and the daily-workers are exceeding in number their fixed colleagues, since the year 2000.
This seminar aims at questioning the perspective that is frequently used to tackle “labour without rights”, commonly considered as an exception and a derogation from the “normal” form of wage labour. Yet, our objective is to challenge this mindset based on experiences collected from various fieldworks, in order to gain a better understanding of these labor activities – rather than considering them as mere exceptions to an alleged “norm” of wage labour.
Can concealed forms of peonage in agriculture, as well as migrant work in various sectors (construction sector, industrial or service activities, domestic households, etc.), or even child labour be confined to the margins of contemporary configurations of work relationships? Or are they rather consubstantial to it, in its local scales as well as in the context of the global economy?
The challenge of this seminar will therefore be to investigate the various forms of economic and social marginality of these activities taking place “outside wage labor”. Moreover, the resurgence of social struggles in various labour contexts where workers lack protection and live in precarious and/or illegal conditions leads us to question the assumed vulnerability of these actors.
A particular attention will be drawn to the informal social and political network on which those workers may rely on, in order to question its place and function within contemporary configurations of labour in Lebanon, and to explore the multiple forms of resistance and mobilization arising in these labour contexts.
Programme du 1er cycle de séminaires
1re séance (16 février 2018, Ifpo)
Séminaire : » Wages and Waste Economies: The Politics of Underage Wage Labour inside Lebanon’s Scrap Metal Industry »
Intervenant : Elizabeth Saleh (AUB, Program Director and Research Associate at the Asfari Institute for Civil Society and Citizenship, https://website.aub.edu.lb/asfari/Pages/OurTeam.aspx)
2e séance (9 mars 2018, USJ)
Journée d’étude : « Le travail des déplacés syriens : de la migration forcée au travail sans-droits »
- « « L’encampement » des réfugiés syriens au Moyen Orient : déborder les frontières de la vulnérabilité par le travail », Delphine Mercier, Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail (LEST), Aix-en-Provence) ; Mustapha El Miri (LEST)
- « Travail des enfants : ethnographie d’un c(h)amp du Akkar, Liban », Agosta Sofia (doctorante Centre Population et Développement (CEPED), Paris Descartes) ; Scala Michele (doctorant Institut de Recherches sur les Mondes arabes et Musulmans (IREMAM), Aix-Marseille Université)
- « « Les réfugiés volontaires » : travailleurs invisibles des dispositifs d’intervention de l’aide internationale ? », Leila Drif (Doctorante EHESS-IRIS, associée à l’Ifpo)
3e séance (23 mars 2018, Ifpo)
Séminaire : « Travail rural et commerces urbains : approches ethnographiques du travail »
- « ‘Ummal, Mou’allim w Shawîsh: Travailler dans le tabac : ressources et contraintes », Emma Aubin-Boltanski (CESOR-EHESS, Ifpo)
- « Lieux et liens du commerce de rue à Beyrouth. Ethnographie ambulante auprès de vendeurs syriens », Emmanuelle Durand, (Doctorante IRIS-EHESS, CNRS)
- « Les commerçants syriens de Nabaa, pratiques et stratégies », Thierry Boissière (Université Lumière Lyon 2, Ifpo)
4e séance (20 avril 2018, Ifpo)
Séminaire : « Le travail importé sous le système de la kafala »
5e séance (30 avril 2018, OIB)
Séminaire :« Migrant labour and the structure of labour market in Lebanon »
Intervenant : Elisabeth Longuenesse (Ifpo)
6e séance (11 mai 2018, Ifpo)
Séminaire : « Une mobilisation improbable ? L’expérience des travailleurs de Spinneys au Liban »
Intervenant : Samir Tawq, Mkhayber Habshi, Milad Barakat (ex-employés de Spinneys)
Discutant : Ahmad Dirani (Lebanese Labour Watch)