La Syrie d’aujourd’hui : reconfigurations sociales, politiques et économiques à l’intersection du territoire national et des espaces migratoires (31/03/2019)
Appel à contribution
Huit ans d’une guerre fratricide se sont écoulés en Syrie laissant derrière eux un bilan dramatique avec plus d’un demi-million de victimes[1]. La moitié de la population a été contrainte à l’exil ou à des déplacements internes[2]. L’économie nationale est dévastée, les infrastructures de nombreuses villes ont été partiellement ou intégralement détruites (Vignal : 2016; 2018). Fragmentée, déstructurée et profondément fatiguée, la société syrienne est plus que jamais confrontée à d’énormes défis sociaux, politiques et économiques. Malgré l’annonce d’une « fin de la guerre » par Bachar al-Assad et la reprise d’une partie conséquente des territoires syriens sous contrôle de l’opposition, la fin des violences demeure encore lointaine. Alors que la question de la reconstruction et du retour des réfugiés s’impose d’ores et déjà dans les débats médiatiques, avalisant ainsi la rhétorique du régime de Damas, le colloque organisé par l’Institut français du Proche Orient (Ifpo) à Amman, le 29 et 30 septembre 2019, a pour objectif de questionner de façon critique cette perspective. En réunissant des chercheurs et doctorants issus d’horizons disciplinaires divers (sociologie, science politique, anthropologie, économie, géographie) il se propose de dresser un bilan critique des transformations qui ont eu lieu en Syrie et parmi les Syriens, au cours des années de guerre. Il s’agira plus précisément de réfléchir à ce qui s’annonce être les nouveaux contours d’une ou des société(s) syrienne(s), à l’intersection entre le territoire national et les multiples espaces migratoires.
Depuis 2011, une importante littérature scientifique a abordé de multiples aspects du conflit[3]: la transformation du mouvement protestataire pacifique en conflit violent (Al-Shami, Leila & Kassab : 2016 ; Burgat & Paoli : 2013 ), les reconfigurations des acteurs impliqués (Abazeid & Pierret : 2018; Bazcko & al. : 2016), les phénomènes migratoires ( Chatty : 2018; Doraï & Lagarde : 2017; Fourn : 2018), les transformations des engagements et du militantisme (Fourn : 2017; Napolitano : 2012; Ruiz de Elvira : 2018) et les stratégies de survie économique (Ababsa : 2019; Boissière & Tabet : 2018; Vignal : 2018 ). Ces études portent principalement sur les recompositions qui ont eu lieu parmi les Syriens en exil. Lorsqu’elles se penchent sur les transformations interne à la Syrie, elles s’appuient principalement sur les témoignages collectés à distance, par le biais d’outils numériques, ou auprès de réfugiés[4] qui continuent à garder des liens avec l’intérieur. Ces nouvelles méthodes de la recherche académique sur la Syrie sont induites par l’impossibilité d’accéder au terrain, mais elles témoignent aussi du lien entre les multiples espaces de résidence des Syriens, les pays voisins, mais aussi l’Europe, et la Syrie, qui semble destiné à durer dans le temps. On peut penser notamment aux circulations de personnes et de biens, aux actions menées depuis l’exil par les organisations humanitaires et politiques. Ce colloque propose de placer au cœur de la réflexion ces dynamiques transnationales et de comprendre la manière dont elles reconfigurent sur le long terme la scène interne en Syrie.
Pour ce faire trois axes thématiques seront explorés :
- Recompositions et transformations sociales
Le premier axe souhaite se concentrer sur les recompositions sociales engendrées par la dispersion des membres des familles (Lagarde : 2018 ; Napolitano : 2018), les déplacements internes, mais aussi le durcissement des identités et des appartenances confessionnelles. On se penchera sur les interactions avec les sociétés d’accueil, entre les Syriens du « dehors » et de l’« intérieur », mais aussi entre les Syriens de régions et d’appartenances sociales différentes. Il s’agira de comprendre comment les modes de vie, les sociabilités et les rapports familiaux ont changé ; et aussi de comprendre comment, en fonction des contextes, l’avenir et éventuellement le retour pour les réfugiés/déplacés ou encore une deuxième migration sont envisagés. Cet axe propose aussi de rendre compte des fractures sociales provoquées par la guerre, la manière dont celles-ci affectent les interactions entre les différentes commutés et composantes de la société, mais aussi engendrent des nouvelles formes de solidarité et d’entraide.
- Pouvoirs, acteurs politiques et société civile
Le deuxième axe porte d’une part sur les transformations des acteurs politiques et de la société civile. Il s’agira de comprendre en fonction des différents contextes politiques des pays d’accueil des réfugiés comment les organisations de l’opposition, les membres des comités et des instances civiles parviennent ou pas à se recomposer en exil, autour de quels objectifs et attentes, et comment ils affectent la scène interne en Syrie. D’autre part, la fragmentation de la Syrie entre des territoires et des zones d’influence multiples (les régions du nord-ouest sous contrôle de l’opposition et sous influence turque, celle du nord-est sous contrôle des Kurdes, et les régions de Damas, du littoral alaouite et le Jabal druze sous contrôle du régime) constituera un second pan de notre réflexion qui tâchera de révéler la manière dont sont concrètement gérés ces différents espaces. On tentera aussi de comprendre quelles sont les reconfigurations majeures qu’on observe au sein du régime et par le biais de quelles stratégies parvient-il à réaffirmer son contrôle (Favier & Kostrz : 2019).
- Dynamiques économiques et assistance humanitaire dans la perspective d’une reconstruction incertaine
Le troisième axe porte sur les aspects économiques liés à la survie de la population syrienne. À une échelle plus large, il s’intéresse aux défis posés par la destruction des tissus urbains et des infrastructures (Vignal : 2016). En exil, les différentes politiques d’accueil et d’intégration, ainsi que le processus de marginalisation du marché du travail, ont affecté les conditions de vie des réfugiés. De quelle manière les formes d’intégration économique des réfugiés se dessinent-elles en exil ? À l’inverse, comment se perpétuent des situations d’exclusion et de marginalisation ? Quels sont les échanges économiques entre l’« intérieur » et l’« extérieur » ? Quel est le rôle des organisations humanitaires ? Cette réflexion sur les transformations et stratégies de survie économiques sera également l’occasion de réfléchir aux défis de la reconstruction matérielle d’un pays ravagé par la guerre (Hinnebusch & Imadi : 2018), et aussi de s’intéresser aux acteurs impliqués et aux reconfigurations foncières, urbaines et démographiques.
Les chercheurs et doctorants intéressés peuvent envoyer un titre et un abstract (600 mots), en précisant leur méthodologie, ainsi qu’une courte biographie, en français ou anglais, au plus tard le 10 avril, au comité d’organisation composé par Napolitano Valentina (Ifpo), Ababsa Myriam (Ifpo), et Al Husseini Jalal (Ifpo). En vue d’une publication collective qui fera suite au colloque, une première version des papiers doit être envoyé avant le 1 Juin. L’Ifpo prendra en charge les frais de voyage et de séjour d’une sélection de participants.
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Bibliographie
Ababsa, Myriam. 2019, « Syria’s Food Security : From Self-Sufficiency to Hunger as a Weapon », in Matar, L, Kadri A., Syria : From National Independance to Proxy War, Palgrave.
Al Husseini, Jalal (2013), “La Jordanie face à la crise syrienne”, in: Pas de Printemps pour la Syrie, ed. Burgat, F., et Paoli, B., Paris, La Découverte, pp.282-288.
Al-Shami, Leila & Kassab, Yassin. Burning Country. Syrians in Revolution and War, London: Pluto Press, 2016.
Baczko Adam, Gilles Dorronsoro et Arthur Quesnay, Syrie: anatomie d’une guerre civile, Paris, France, CNRS éditions, 2016.
Boissière Thierry & Annie Tohmé Tabet, « Une économie de la survie au plus près de la guerre. Stratégies quotidiennes des réfugiés syriens à Nabaa », Critique internationale, vol. 80, no 3, 2018, p. 89-109.
Burgat François & Bruno Pali (éd.), Pas de printemps pour la Syrie: les clés pour comprendre les acteurs et les défis de la crise (2011-2013), Paris, France, la Découverte, 2013.
Chatty, Dawn. Syria: The Making and Unmaking of a Refuge State, London, Hurst Publisher, 2018.
Doraï, Kamel & Lagarde, David. « De la campagne syrienne aux villes jordaniennes. Un réseau marchand transfrontalier à l’épreuve du conflit syrien », Espace populations sociétés, en ligne : http://eps.revues.org/7212
Favier, Agnès & Kostrz, Marie. « Local elections : is Syria Moving to Reassert Central Control?», EUI report, fevrier 2019.
Fourn, Léo. « L’installation des réfugiés syriens en Europe face au recul de l’hospitalité », Migrations Sociétés, 2018/4 (N° 174), p. 17-31.
Napolitano, Valentina. « La mobilisation des réfugiés palestiniens dans le sillage de la « révolution » syrienne : s’engager sous contrainte », Cultures et Conflits, n°87, Automne 2012, pp. 119-137.
_« L’enfer de Yarmouk, camp palestinien en Syrie. « La faim où la soumission » », in Orient XXI, février 2014.
Laura Ruiz de Elvira (2019) From local revolutionary action to exiled humanitarian work: activism in local social networks and communities’ formation in the Syrian post-2011 context, Social Movement Studies, vol. 18, n.1, p.36-55.
Vignal, Leïla. « Perspectives sur le retour des réfugiés syriens », Revue des migrations forcées, Février 2018, n.57.
_ « Produire, consommer, vivre : les pratiques économiques du quotidien dans la Syrie en guerre (2011-2018) », Critique internationale, vol. 80, no 3, 2018, p. 45-65.
_ « Syrie : la stratégie de la destruction », La Vie des idées, 29 mars 2016, en ligne : http://www.laviedesidees.fr/Syrie-la-strategie-de-la-destruction.html
Notes
[1] Celle-ci demeure une estimation car le nombre exact des victimes de la guerre demeure inconnu après que l’Onu a renoncé à tenir ce bilan en 2014. Sur ce sujet voir : Vignal, Leïla. « Produire, consommer, vivre : les pratiques économiques du quotidien dans la Syrie en guerre (2011-2018) », Critique internationale, 2018/3 (N° 80), p. 45-65.
[2] En 2017, le nombre de réfugiés enregistrés par l’UNCHR au sein des pays voisins de la Syrie est d’environ 5 millions d’individus et près de 7 millions sont déplacés à l’intérieur du pays. Voir la page web : http://data.unhcr.org/syrianrefugees/regional.php
[3] Dans l’impossibilité de citer l’ensemble de ces travaux nous renvoyant aux pages web de deux programmes de recherche collectifs l’ANR « LAJEH : conflits et migrations », dirigée par Kamel Doraï (https://lajeh.hypotheses.org/ ) et l’ANR « SHAKK : Syrie : conflits, déplacements, incertitudes », dirigée par Anna Poujeau (), qui réunissent de nombreux chercheurs travaillant sur les migrations, les transformations sociales et politiques engendrées par le conflit syrien.
[4] Au cours des premiers années des chercheurs ont pu accéder pour des brèves périodes au terrain syrien. Voir : Baczko Adam, Gilles Dorronsoro et Arthur Quesnay, Syrie: anatomie d’une guerre civile, Paris, France, CNRS éditions, 2016.