Le tombeau des patriarches à Hébron : construction patrimoniale d’un lieu saint et enjeux en contexte de conflit, Charlotte Gasc
Le cycle de conférences Religions et sociétés. Regards croisés s’intéresse aux interactions entre faits religieux et sociétés, en particulier dans l’espace proche-oriental. Le philosophe al-Farabi, au Xème siècle, définissait déjà le fait religieux comme ensemble de doctrines et de pratiques, en se fondant sur une distinction entre la religion comme croyance (din) et la religion comme communauté (milla). Ces doctrines et ces pratiques s’enracinent dans les textes sacrés – dont les exégètes tentent de percer les mystères -, mais aussi construites socialement. Que ce soit l’interprétation des textes sacrés, les pratiques sociales qui entourent les lieux saints, ou encore les pèlerinages entendus comme fait social, les sociétés ne cessent de construire le fait religieux, autant qu’elles l’accueillent. C’est cette interaction que nous chercherons à explorer ici au travers de plusieurs conférences, où se succéderont anthropologues et sociologues, islamologues, spécialistes des textes et historiens.
Mardi 6 décembre, 19h
à l’Institut français de Jérusalem – Chateaubriand
(Conférence en français)
Conférence de Charlotte Gasc (IDEMEC/IREMAM, AMU),
animée par Maissoun Sharkawi (Chercheuse associée à l’Ifpo, Kadoori Univ.)
Le tombeau des patriarches à Hébron : construction patrimoniale d’un lieu saint et enjeux en contexte de conflit.
Le patrimoine architectural religieux (lieux saints, lieux de culte, sanctuaires, tombeaux…) tient une place centrale au sein des politiques et dynamiques patrimoniales aussi bien locales qu’internationales. Pourtant, la mise en patrimoine de lieux ou objets empreints de sacralité ou à fonction religieuse pose question aussi bien aux spécialistes du patrimoine qu’aux autorités religieuses ou aux fidèles. Cette problématique est exacerbée en contexte de conflit. Cette communication prend pour cas d’étude la vieille ville d’Hébron, avec en son cœur le tombeau des Patriarches, inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO par l’Autorité palestinienne en 2017. Elle se propose d’interroger la reconnaissance conflictuelle de ce lieu saint contesté.
Hébron connait une longue tradition religieuse. Historiquement, elle s’est développée autour du tombeau des Patriarches ou mosquée d’Abraham, le sanctuaire abritant selon les traditions musulmanes, juives et chrétiennes les caveaux des Patriarches Abraham, Isaac et Jacob ainsi que leurs épouses Sarah, Léa et Rebecca. Pour les fidèles musulmans et juifs, il constitue le second lieu saint régional après Jérusalem et fait l’objet d’un culte important. Ce lieu saint divisé plus que partagé, est au cœur d’enjeux politiques, religieux et patrimoniaux. Bien que gardant son intégrité architecturale, le site est séparé en deux parties : l’une pour les Juifs, l’autre pour les Musulmans. Cette séparation se matérialise notamment par la construction de deux entrées différentes après un attentat en 1994.
À partir de l’étude du dossier de candidature de la vieille ville d’Hébron et d’entretiens menés auprès des acteurs impliqués dans son montage, cette présentation interroge la manière dont le patrimoine religieux est traité dans le cadre de la démarche UNESCO. Quelles sont les directives patrimoniales formulées concernant ce patrimoine religieux ? Quelles contestations et tensions diplomatiques ont généré ces recommandations, dans le contexte conflictuel particulier d’Israël-Palestine ? Comment l’UNESCO intervient comme acteur dans la gestion conflictuelle du lieu saint et de sa difficile mise en patrimoine ?
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Charlotte Gasc a initié sa première année de doctorat en anthropologie au sein de l’Institut d’Ethnologie Méditerranéenne, Européenne et Comparative et de l’Institut de Recherche et d’Études des Mondes Arabes et Musulmans en Septembre 2021, encadrée par Cyril Isnart et Norig Neveu. Depuis son master en études euro-méditerranéennes, ses recherches portent sur les thématiques du patrimoine culturel, religieux, de la diplomatie culturelle et de l’UNESCO au Proche-Orient et plus particulièrement dans l’espace israélo-palestinien. Son sujet de thèse s’intitule « La patrimonialisation de la vieille ville d’Hébron : monographie d’une coopération internationale en réseaux et biographies d’acteurs culturels au Proche Orient. »
Maissoun Sharkawi est professeure assistante au Département des arts appliqués de l’Université technique palestinienne Kadoori à Ramallah. Elle est également chercheure associée à l’Institut français du Proche-Orient IFPO et travaille comme experte de l’UNESCO pour la mise en œuvre de la convention de 2003 sur le patrimoine culturel immatériel PCI. Maissoun Sharkawi est titulaire d’un doctorat en Histoire de l’Université de Lorraine-Nancy. Sa thèse explore l’environnement social, historique et économique dans lequel le concept de patrimoine culturel palestinien a été formulé au cours des deux derniers siècles. Elle est actuellement lauréate de programme Al-Maqdisi/Hubert Curien et travaille avec une équipe franco-palestinienne sur le sujet des Exils et migrations algériennes en Palestine, XIX-XXèmes siècles.