Faire de la recherche en et sur la Palestine
Séminaire mensuel de réflexion transdisciplinaire
IFPO – Territoires Palestiniens
(Janvier – Octobre 2019)
Coordination
- Flora Youssef, doctorante CRESPPA-LabTop, Université de Paris 8 et Département des études contemporaines de l’Ifpo
- Najla Nakhlé-Cerruti, checheure au Département des études contemporaines de l’Ifpo
Présentation
Ce séminaire a pour but de réunir mensuellement des chercheurs francophones qui font de la recherche en et sur la Palestine. Cela permettra d’ouvrir un espace de réflexion concernant le positionnement de chercheurs étrangers et/ou palestiniens face aux enjeux du « faire scientifique ». Inspirée d’une sociologie des sciences Latourienne[1] où la preuve scientifique transparaît dans ce que nos recherches font effectivement advenir dans le monde[2], ce séminaire sera l’occasion de réfléchir collectivement à la manière dont nos travaux participent du monde social qui nous entoure. En effet, en Palestine comme ailleurs, les travaux scientifiques renouvellent constamment la compréhension de la réalité sociale et politique présente mais contribuent également à écrire une certaine histoire palestinienne.
Ce monde social est à la fois celui des terrains que nous habitons en Palestine et en France mais aussi celui des espaces institutionnels palestiniens, français et internationaux que nous et nos recherches traversons. En effet, Latour nous invite à rompre avec l’idée d’une « autonomie » du travail scientifique, en questionnant à la fois l’existence d’une séparation « d’un champ universitaire » bourdieusien du reste des champs qu’occupent les universitaires mais également en s’interrogeant sur la pertinence des séparations savoir scientifiques/conceptions ordinaires. Dans cette optique, la question du faire universitaire appelle à scruter l’activité scientifique dans son processus matériel : outils d’enquête, lieux fréquentés, réseaux de publications, choix des concepts, personnes interrogées, langues utilisées etc.
Ce séminaire se situe dans la continuité de la réflexion globale présente à l’IFPO depuis sa création (anciennement CERMOC) et discutée à l’occasion du colloque organisé à Beyrouth en novembre 2018[3] : « La construction de savoirs partagés : Comment faire de la recherche en sciences sociales au Proche-Orient ? ». Finalement nous souhaitons réfléchir collectivement aux enjeux politiques de nos recherches en comprenant ce « politique » comme la manière dont nos recherches questionnent des vérités établies précédemment et/ou par d’autres, réfutent des points de vue, défendent de nouvelles méthodes ou approches, font émerger de nouveaux acteurs et objets. Plus simplement nous nous demanderons comment nos activités participent à une transformation d’une vision sur le monde et donc de son fonctionnement.
Trois axes en particulier peuvent servir de point de départ aux interventions :
Axe 1 : Un concept peut en cacher un autre
Il s’agit de partir d’un retour réflexif sur le choix d’un concept plutôt qu’un autre dans le processus d’écriture d’un article, une thèse ou un projet de recherche. Nous nous appuierons notamment sur les travaux de thèse[4] de Sbeih Sbeih sur le concept de domination sur la professionnalisation des ONG en Palestine. Notre séminaire se voulant transdisciplinaire il est attendu de bien préciser les enjeux internes à la discipline dans laquelle évoluent les concepts en question.
Axe 2 : L’inscription institutionnelle du chercheur et de son enquête
À la suite des réflexions ouvertes par Abaher Al Sakka sur le rôle des universités palestiniennes[5], cet axe invite à réfléchir sur nos choix d’affiliation institutionnelle à court et à long terme. Quels sont les impacts de ces choix sur nos trajets professionnels et sur la production de notre savoir ? Cela pourra être l’occasion de s’interroger sur le rôle que joue l’IFPO dans la production de savoir sur la Palestine.
Axe 3 : Un terrain sous occupation
Ce troisième axe prend pour point de départ le retour réflexif de Vincent Romani[6] sur l’enquête qu’il a mené au début de la deuxième intifada dans les Territoires occupés. Il s’agit de poser la question des contraintes évidentes qui pèsent et encadrent nos enquêtes de terrain : contrôle des déplacements, non-accès à des zones et des acteurs, répression de la recherche etc.
Dans ces trois axes, il nous semble important que chaque intervenant parte d’une épreuve[7] rencontrée dans son travail et des choix qui ont été faits pour y faire face. Nous pourrons ainsi réintroduire un « je » dans l’explication de la démarche scientifique, non par quelconques souci « égocentrique » mais dans le but de produire une analyse au plus proche de nos conditions de travail quotidien.
Informations pratiques :
Le séminaire aura lieu dans les locaux de l’antenne de l’Institut Français de Jérusalem à Ramallah sur un créneau de deux heures. Chaque intervention devra faire entre 30 et 40 minutes pour laisser la place aux questions et à la discussion. Il sera demandé d’envoyer une introduction (dizaine de lignes) de la prise de parole ainsi qu’un article (court) de l’auteur ou d’une référence utilisée qui permettra aux collègues de disciplines différentes d’avoir une brève connaissance des enjeux qui seront soulevés. En fonction des souhaits des différents participants, ce séminaire pourra bénéficier d’une publication en ligne sous forme des Carnets de l’IFPO (avec traduction en arabe si souhaitée).
[1] Hauchecorne Mathieu, Les « humanités scientifiques » selon Bruno Latour, in Critique 2012/11 (n° 786)
[2] Bruno Latour, Cogitamus. Six lettres sur les humanités scientifiques, La Découverte, coll. « Sciences Humaines », 2010, 246 p., EAN : 9782707166883.
[3] https://www.ifporient.org/colloque-5-6-11-2018/
[4] Sbeih Sbeih, LA « PROFESSIONNALISATION » DES ONG EN PALESTINE : ENTRE PRESSION DES BAILLEURS DE FONDS ET LOGIQUE D’ENGAGEMENT : https://www.academia.edu/17565807/LA_PROFESSIONNALISATION_DES_ONG_EN_PALESTINE_ENTRE_PRESSION_DES_BAILLEURS_DE_FONDS_ET_LOGIQUE_D_ENGAGEMENT
[5]Al Sakka Abaher, Les universités palestiniennes : entre hiérarchisations académiques et attente sociale, in Hérodote, La Découverte, n°169 :
https://www.academia.edu/36807077/Les_universit%C3%A9s_palestiniennes_entre_hi%C3%A9rarchisations_acad%C3%A9miques_et_attente_sociale
[6] Romani, Vincent. « Enquêter dans les Territoires palestiniens. Comprendre un quotidien au-delà de la violence immédiate », Revue française de science politique, vol. vol. 57, no. 1, 2007, pp. 27-45.
[7] Hauchecorne Mathieu, Les « humanités scientifiques » selon Bruno Latour, in Critique 2012/11 (n° 786)