Les lettres isolées du Coran et la continuité de la mystique des lettres dans l’Antiquité
Responsables : Nadir Boudjellal, Pauline Koetschet
Le DEAMM a lancé en décembre 2021 un programme de recherche en islamologie, grâce à l’arrivée à Erbil du doctorant Nadir Boudjellal, qui prépare une thèse sur « Les lettres isolées du Coran : un carrefour de savoirs ».
« Dieu a un secret dans chaque écriture, et son secret dans le Coran ce sont les lettres de l’alphabet mentionnées au début des sourates ». Ce propos relayé par le grammairien al-Zajjāj (mort en 923) est révélateur, aussi loin que l’on puisse remonter dans les sources arabes et islamiques, de l’opacité qui entoure les lettres isolées du Coran (al-ḥurūf al-muqaṭṭ‘a), ces mystérieuses initiales placées en tête de certaines sourates du livre saint de l’islam. Des 28 lettres que compte l’alphabet arabe, 14 se retrouvent dans les différentes combinaisons de lettres isolées. Le maitre soufi andalou Ibn al-‘Arabī les désignait du nom de « lettres lumineuses » (ḥurūf nūrāniyya) en rapport aux mansions lunaires et considérant quelle décrivent le monde spirituel tandis que les 14 autres, les « lettres obscures », décrivent le monde physique. Cette typologie à été assimilée à celle des concepts philosophiques « d’acte » et de « puissance », « d’essence » et de « substance » ou encore de natures masculine et féminine dont la complémentarité constitue la base de la manifestation divine dans les cosmogonies issues des traditions les plus diverses. Les différentes combinaisons de ces 14 lettres isolées sont elles-mêmes au nombre de 14 et certaines d’entre elles sont réutilisées en tête de plusieurs sourates. Malgré les milliers de propos attribués au prophète Muḥammad, aucun ne vient éclairer le mystère des lettres isolées du Coran.
Elles sont, depuis les débuts de l’exégèse coranique, l’un des sujets les plus ouvert à la spéculation. Du premier siècle de l’hégire jusqu’à nos jours, elles donnent lieu à une large diversité de points de vues et même peut-on dire, à une grande créativité. Mais aucune de ces opinions n’a jamais réussi à s’imposer dans aucun courant islamique et le mystère reste donc entier. Beaucoup voient dans les lettres isolées des abréviations diverses, d’autres considèrent qu’elles étaient « des sons destinés à éveiller l’attention du Prophète ou à retenir celle de son public, des signes mystiques chargés d’une signification symbolique. » Le courant soufi, par essence tourné vers le mystère, est sans surprise le plus productif sur la question. En s’appuyant sur la science des lettres (‘ilm al-ḥurūf), savoir d’élite acquis semble-t-il par « dévoilement » (kašf), les maîtres sûfî ont notamment associés une lettre isolée à un mot renvoyant lui-même à un état spirituel ou à un attribut divin. La science des lettres étudie aussi la graphie de chaque lettre ainsi que son lieu d’émission et y voit le symbole d’un aspect de la réalité, d’un état de l’être ou d’un concept.
La philosophie n’est pas en reste. En s’appuyant sur la valeur numérique des lettres de l’alphabet arabe, caractéristique communes aux langues sémitiques et au grec ancien, les spéculations sur les lettres isolées nous conduisent aussi à explorer la tradition pythagoricienne, kabbalistique ainsi que celles de nombreuses sectes chrétiennes précoces utilisant des procédés analogues. Procédés qui semblent avoir été extrêmement courant dans l’antiquité, mais dont l’usage et la connaissance s’est peu à peu perdu, perdurant seulement dans les conceptions modernes à travers certaines applications folkloriques telles que la numérologie, l’astrologie ou la magie dont les préoccupations et les méthodes sont bien souvent aux antipodes du savoir élitiste et trans-religieux dont la science des lettres était l’objet et qui concevait la lettre comme le symbole premier de la manifestation du monde par Dieu.
En marge de ce programme de recherche, le DEAMM mène plusieurs activités de recherche et de valorisation de la recherche en islamologie :
- traduction vers l’arabe et sous-titrage des conférences du cycle « Composer, écrire et transmettre le Coran aux premiers siècles de l’Islam », en partenariat avec l’université de Lorrain et le SCAC de Beyrouth.
- Cycle de conférences « Nouvelles recherches en islamologie » en partenariat avec le Bureau du livre de Beyrouth.
- Cycle de conférences « Textes et lieux saints », en partenariat avec le SCAC des TP.
- Colloque sur Ibn Taymiyya, Amman (programmé en octobre 2022).