Musiques au Proche-Orient après le tournant numérique | Revue « Regards » n°34
Ce numéro de la revue Regards (Université Saint-Joseph de Beyrouth) propose d’étudier les dynamiques de production musicale et les formes de diffusion dans le Proche-Orient contemporain, notamment par les pratiques de do it yourself qui se sont développées à la faveur de l’avènement des home studios et les plateformes d’écoute à moindre coût. L’enjeu d’une telle étude est ainsi de confronter les différentes esthétiques des musiques actuelles, mêlant les divers héritages intellectuels et culturels, mobilisant les affects de la nostalgie et ceux liés aux réalités historiques partagées par les habitants de la région. On posera la question de comprendre l’articulation des dynamiques musicales avec les frontières sociales, politiques, étatiques et les différents contextes de conflits.
Numéro co-dirigé par Nicolas Puig (IRD, Université Paris Cité), Amr Abdelrahim (Sciences Po, paris) et Thomas Michel (URMIS/Université Paris Cité)
Argumentaire
Au tournant des années 2000, la production et la création musicale ont été transformées par les évolutions technologiques dans les différentes régions du monde dont le Proche-Orient marquant l’avènement d’un “régime numérique” (Olivier, 2017) de la musique. Une nouvelle organisation de la production artistique proche-orientale de l’Égypte à l’Irak en passant par les Territoires Palestiniens, la Syrie, la Jordanie et le Liban se met en place. Elle procède des innovations liées aux nouvelles formes d’expression, de communication et de production de la musique contemporaine conduisant à une pluralité des savoirs et pratiques musicales qui se manifestent au sein des dynamiques nationales et régionales (De Blasio 2020, 2021, Johannsen 2017, Rasmussen 1996).
Ce numéro de la revue Regards (Université Saint-Joseph de Beyrouth) propose d’étudier les dynamiques de production musicale et les formes de diffusion dans le Proche-Orient contemporain, notamment par les pratiques de do it yourself qui se sont développées à la faveur de l’avènement des home studios (Péneau 2023) et les plateformes d’écoute à moindre coût. L’enjeu d’une telle étude est ainsi de confronter les différentes esthétiques des musiques actuelles, mêlant les divers héritages intellectuels et culturels, mobilisant les affects de la nostalgie (Dauncey & Tinker 2014) et ceux liés aux réalités historiques partagées par les habitants de la région (Fahmy 2013). On posera la question de comprendre l’articulation des dynamiques musicales avec les frontières sociales, politiques, étatiques et les différents contextes de conflits.
Ce numéro cherchera également à mettre en avant les systèmes complexes de communication, d’enregistrement et d’accumulation des savoirs et pratiques des artistes proche-orientaux en suivant différentes approches liées aux popular music studies (Hesmondhalgh & Meier 2014, Nowak 2013), aux sciences and technology studies (Olivier 2017, Shafiee 2019) et aux courants ethnomusicologiques contemporains (Olivier 2022, Stokes 2022). Il s’agit alors de mettre en lumière les régimes de légitimité et d’authenticité (Guillard & Sonnette 2020) de la musique proche-orientale. Des pratiques comme celle des featuring (Roquebert 2020) et l’arrivée de plateformes de streaming comme SoundCloud (Allington, Dueck & Jordanous 2015, Hesmondhalgh, Jones & Rauh 2019) permettent aussi aux artistes, malgré les frontières physiques, de créer collectivement autour d’esthétiques communes et de communiquer leurs créations. L’intensification de ces circulations fait émerger de nouveaux acteurs économiques autour d’une “nouvelle pop arabe transnationale” (France 2020) distincte de l’industrie pop traditionnelle organisée autour d’un axe Beirut-Riyad (Kraidy 2007). Par ailleurs, la région du Proche-Orient est de plus en plus intégrée dans un système mondial, même si les échanges entre le centre et les marges sont toujours caractérisés par un “décalage” structurel (Sprengel 2023).
Les contributions pourront s’intéresser à la situation d’un pays en particulier, tant il est vrai que les études sur les musiques au Proche-Orient restent très largement marquées par des ancrages nationaux. L’Égypte en premier lieu fait l’objet d’un investissement important de la recherche musicale pour aborder les musiques sacrées (Gabry-Thienpont 2015), les musiques populaires comme le Shaabi (Puig, Frankfort 2006, 2022) et le mahragan (Puig 2020), ou encore les musiques indépendantes (Sprengel 2018, 2020, El Chazli et Gabry-Thienpont 2020) comme le rap (Mangialardi 2016, Weiss 2016, Williams 2010). Les autres pays de la région ont ainsi fait l’objet de recherches plus ou moins récentes ou actualisées (Shannon sur la Syrie, 2006, Bukhalter et Puig sur le Liban, 2007, McDonald sur la Palestine, 2010, 2013, 2019). À titre d’exemple, certains auteurs se sont intéressés à la musique jordanienne à travers les espaces de la diaspora dans la musique (Thibdeau 2020) ainsi qu’à travers les études sur les jeunesses, la culture underground (Munk 2021), la musique traditionnelle Dabke (Al Bakri & Mallah 2020) et les popular music (Galakhova 2008). De son côté, la musique palestinienne fait aussi l’objet d’études tournées vers le discours de résistance face à l’occupation israélienne (Belkind 2021, El Sakka 2010, Eqeiq 2012) ou qui tentent d’approcher les subjectivations des jeunesses palestiniennes par et à travers la musique (Karkabi 2013, 2020, Sunaina 2008, Withers 2021, Zielinska 2018).
De la sorte, les études sur la musique dans la région sont toujours en tension entre une logique transversale (la musique arabe) et des approches nationales (musique d’Égypte, du Liban, de Syrie, etc.).
Pour ce numéro, il est attendue des propositions reposant sur des ethnographies situées portant sur les créations, productions et diffusions musicales, aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle régionale, de manière transversale et/ou traversante au sein du Proche Orient contemporain.
Modalités de soumission
Les chercheurs désireux de soumettre un abstract (en français, anglais ou arabe) sont invités à l’envoyer à l’adresse suivante : regards@usj.edu.lb
avant le 10 septembre 2024.
Le message doit comporter :
- Le résumé (abstract) de l’article (approx. 500 mots).
- Les Mots-clés.
- Une notice bio-bibliographique (approx. 100 mots).
Les abstracts seront examinés par le comité de rédaction, et les auteurs recevront une réponse fin septembre 2024.
Directeurs du dossier thématique
Nicolas Puig (Université Paris Cité) – Amr Abdelrahim (Sciences Po, Paris) – Thomas Michel (IRD, Université Paris Cité)
Comité scientifique
- Hamid Aidouni, PR (Université Abdelmalek Essaadi, Maroc)
- Karl Akiki, MCF (Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban)
- Riccardo Bocco, PR (Graduate Institute of International and Development Studies Genève, IHEID, Suisse)
- Fabien Boully, MCF (Université Paris Nanterre, France)
- André Habib, PR (Université de Montréal, Canada)
- Dalia Mostafa, MCF (University of Manchester, Angleterre)
- José Moure, PR (Université Paris Panthéon Sorbonne – Paris 1, France)
- Jacqueline Nacache, PR (Université de Paris, France)
- Ghada Sayegh, MCF (IESAV, Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban)
- Kirsten Scheid, Associate PR (American University of Beirut, Liban)
Rédacteur en chef: Joseph Korkmaz, PR (Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban)
Références bibliographiques
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