Archéologie et cultes funéraires au Proche-Orient (Territoires palestiniens, Liban, Jordanie)
Approche anthropologique : les morts choisis dans l’espace domestique
Responsable : J. Nassar
Étudier l’interaction entre espace vécu et espace funéraire : cette problématique concerne plus particulièrement les sites préclassiques et a fait partie d’une première approche consacrée au monde funéraire de Mari (Moyen‐Euphrate, IIIe millénaire – début IIe millénaire av. J.‐C.). Au cours de ce travail, il est apparu nécessaire d’aborder d’un point de vue anthropologique l’étude de la structuration de l’espace funéraire sous l’habitat ainsi que le mode sélectif qui a conduit les vivants à inhumer certains de leurs défunts sous la ville plutôt qu’à l’extérieur, dans des nécropoles.
En effet, malgré la découverte de très nombreuses sépultures sous l’habitat de la majorité des sites du Proche‐Orient ancien, cette problématique riche de potentialités a peu intéressé les chercheurs et a rarement été intégrée dans les projets de recherche archéologique au Levant. C’est cette thématique qui sera approfondie dans les années à venir en y intégrant d’autres sites préclassiques.
Aujourd’hui, ce programme de recherche comporte :
- o L’analyse des sépultures des niveaux de l’Âge du Bronze de Tell Arqa. Cette étude est sur le point d’être terminée et elle sera intégrée à la prochaine publication de J.‑P. Thalmann.
- o La fouille et l’étude des sépultures de l’Âge du Bronze de Saïda grâce à une nouvelle collaboration établie avec l’équipe du British Museum dirigée par C. Doumet‐Serhal. Cette collaboration débutera lors de la prochaine mission prévue pour juin 2012.
- o La fouille et l’étude des sépultures de l’Âge du Bronze à Qatna (Syrie) sous la direction de M. al‐Maqdissi constitueront le troisième dossier traité à titre expérimental dans cette thématique.
- o Caractériser biologiquement les populations du Levant ancien :ce volet tient une place essentielle dans nos travaux, d’autant que l’aspect biologique des populations proche‐orientales anciennes est particulièrement mal connu. Pour ce faire, nous avons notamment recours à la morphométrie (mesures de tous les éléments du squelette) et à l’analyse des variations anatomiques non métriques. Ces dernières, observables sur tous les squelettes, sont malheureusement trop rarement prises en compte au Proche‐Orient. L’étude de ces variations dans cette région présente pourtant un intérêt scientifique majeur puisqu’elle permet non seulement de caractériser biologiquement les populations, mais aussi de les comparer entre elles et de comprendre une partie des mécanismes de peuplement du Levant ancien. En outre, l’analyse des caractères biologiques permet d’apprécier l’organisation de l’espace sépulcral en mettant en évidence les possibles liens familiaux entre les défunts d’un espace funéraire donné. Ils constituent donc un élément déterminant pour la connaissance des pratiques funéraires, que les moyens archéologiques classiques ne permettent pas toujours d’obtenir.Par ailleurs, nous accordons une attention particulière à l’étude des pathologies osseuses et dentaires, lesquelles permettent d’identifier le mode de vie, les habitudes alimentaires des populations anciennes ainsi que les maladies dont elles souffraient (cf. études paléopathologiques). Ces pathologies ont déjà fait l’objet de plusieurs communications orales et écrites et un poster consacré à un nouveau cas de déformation squelettique inédit au Levant ancien (humérus varus) provenant de Tell Arqa au Liban (Bronze Moyen) sera présenté dans le prochain ICAANE qui se déroulera à Varsovie au printemps 2012.Là encore, nos recherches ont permis l’élaboration d’une base de données biologiques comprenant déjà une centaine de squelettes de différentes périodes et régions du Proche‐Orient. Cette base de données inédites sera complétée par nos études à venir.
Responsable : Jean-Sylvain Caillou (Ifpo)
- Participants Ifpo : R. Lufrani (doctorant associé Ifpo/Ebaf), J. Nassar (chercheur associée)
- Autres participants : J. Humbert (dessinateur-topographe), J. Charrière (étudiante, Université de Poitiers), C. Atucci (doctorante, Université de Florence/Ebaf)
- Partenaires institutionnels : École biblique et archéologique française
- Financements et subventions (hors Ifpo) : Commission des fouilles du ministère des Affaires étrangères et européennes
- Description : Par la diversité de ses implications, le fait funéraire intéresse plusieurs chercheurs qui viennent pour la plupart de rejoindre de l’Ifpo. Il a donc paru utile de réunir dans un nouveau programme leurs projets. Seront abordés les aspects anthropologiques et biologiques, architecturaux et sociaux de la mort au Proche-Orient dans l’antiquité.
L’architecture funéraire en Palestine
Responsable : J.-S. Caillou
Les premiers travaux de J.-S. Caillou dans le domaine de l’archéologie funéraire ont été menés à partir de 1997 dans le cadre des fouilles et prospections des nécropoles de Zeugma et d’Apamée-sur-l’Euphrate (programme de sauvetage dirigé par C. Abadie-Reynal) et sont actuellement en cours de publication. Ils mettent l’accent sur deux aspects particuliers. Le premier porte sur les techniques de creusement des hypogées d’après l’analyse des traces d’outils, dans la lignée des travaux de J.-C. Bessac et du Centre d’études alexandrines. Le second concerne la typologie sociale des tombeaux. L’examen de plus d’une centaine d’hypogées permet en effet de démontrer que les plus grands tombeaux n’appartenaient pas aux plus riches, comme on l’a longtemps cru, mais à des promoteurs qui vendaient par lots ce que l’on peut considérer comme des immeubles funéraires, comme à Palmyre ou à Alexandrie. Les notables préféraient se faire creuser des tombeaux familiaux, plus petits, qui présentent plus souvent les inscriptions et les reliefs funéraires caractéristiques de leur statut. Les plus pauvres, quant à eux, se contentaient de tombes individuelles taillées dans la roche ou creusées dans la terre. La même approche technique et sociale a été appliquée sur les monuments funéraires de Palestine et, en particulier, sur le Tombeau des Rois, de 1998 à 2001. Ce tombeau qui est le plus grand hypogée de Jérusalem, fut creusé vers 45 ap. J.-C. pour la famille royale d’Adiabène (Flavius Josèphe, AJ, XX, 94-95 ; Eusèbe de Césarée, Hist. Eccl. II.12, 1-3 ; Jérôme, lettre 108, 9). La sophistication de son architecture souterraine et de ses portes, qui provoquèrent l’admiration de Pausanias (Arcadie, VIII, 16. 4-5), ainsi que la richesse du mobilier funéraire (6 sarcophages sur les 15 découverts jusqu’à présent à Jérusalem) en font l’un des tombeaux les plus importants de l’Antiquité. Le Tombeau des Rois, qui appartient à la France, fait actuellement l’objet d’un vaste programme de restauration et d’un ultime projet de fouille qui se déroulera au printemps 2012 sous ma responsabilité (mission archéologique du MAÉE). Le projet mené conjointement par l’Ifpo et l’École biblique et archéologique française de Jérusalem prévoit la publication définitive du site à l’horizon 2013. La monographie présentera une nouvelle analyse architecturale et l’étude globale des objets mis au jour lors des fouilles précédentes (1851, 1863, 1879 et 2008). Le Tombeau des Rois offre des perspectives uniques pour comprendre les méthodes des carriers et des concepteurs d’espaces souterrains. La qualité de la roche, un calcaire marmariforme appelé « malaky » (royal), permet de restituer chronologiquement les phases de taille grâce aux traces d’outils et explique les anomalies du plan. Ainsi, la dissymétrie de l’hypogée s’explique simplement par des contingences techniques alors qu’on y voyait jusqu’à présent un parti-pris répondant tant bien que mal à une fonction symbolique. De même, différentes bizarreries architecturales justifiées sous couvert de pratiques religieuses particulières, trouvent en réalité leur explication dans les techniques de taille. Au final, l’analyse du creusement permet de restituer le plan d’origine abandonné, de comprendre les choix donnants à l’hypogée sa forme actuelle et de distinguer une phase de réutilisation où le tombeau, libéré de la concession royale, s’apparentait à une copropriété funéraire luxueuse. Le tombeau de Jésus est un autre sujet d’étude privilégié. La mise en perspective des réalités architecturales relevées sur les tombes de Jérusalem et des enjeux théologiques qui avaient cours aux premiers siècles de l’ère chrétienne, offre une meilleure compréhension de certains passages évangéliques et du site du Saint-sépulcre (colloque de Lausanne).
Par ailleurs, la mise en place d’une prospection-inventaire systématique des monuments funéraires de Cisjordanie, qui débutera en mai 2012 avec l’Université de Bir Zeit, l’Université de Paris 1 et le Service des antiquités de Palestine, aura pour but de mieux appréhender le processus d’hellénisation de cette région où l’acculturation est restée faible jusqu’à l’époque hérodienne, pour des raisons religieuses et géographiques. Ces raisons ont aussi freiné la romanisation qui ne s’est véritablement implantée qu’avec les fondations de Flavia Neapolis (Naplouse) et d’Aelia Capitolina (Jérusalem), après la première et la seconde guerre juive. L’architecture est un bon révélateur de ces changements culturels. L’apparition de thermes, théâtres, cirques où amphithéâtres témoigne sans ambiguïté de l’adoption d’un style de vie gréco-romain. Malheureusement, ces monuments n’étaient présents que dans les villes et n’ont laissé que peu de vestiges. En revanche, les tombeaux qui sont taillés dans la roche et situés à l’extérieur des agglomérations, sont très nombreux et bien préservés. Grâce à leurs décors et à leurs aménagements funéraires, ils constituent le meilleur indicateur architectural du degré d’hellénisation et de romanisation des populations.