Journée d’étude : Le pèlerinage au Proche-Orient : formes, impact et évolution d’une pratique religieuse, de l’Antiquité tardive à nos jours (enjeux géopolitiques, économiques et religieux) (13/06/19)
Jeudi 13 juin, à partir de 9h en salle de conférence de l’EBAF
Présentation
Cette journée d’étude a pour vocation de rassembler différents spécialistes, toutes époques confondues depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, autour de la question du pèlerinage chrétien et musulman. Les mutations de ce phénomène seront abordées sous divers angles de vues (archéologique, historique, topographique, anthropologique, etc.) afin de mieux comprendre son évolution et celui du statut des lieux saints dans des contextes sociaux, géopolitiques et économiques variés. Il s’agira en outre de mieux saisir dans le temps le rapport des populations au sacré et d’étudier le degré d’influence du pèlerinage sur l’organisation spatiale des territoires concernés.
Programme
09h00 Accueil des participants et mots d’ouverture
Introduction : Bertrand Riba
9h30 Estelle Cronnier (Univ. Lille 3)
Approcher, voir, toucher les reliques pendant l’Antiquité tardive : le témoignage des pèlerins au Proche-Orient
10h00 Frédéric Alpi (IFPO/UMIFRE 6 MEAÉ/CNRS)
Sites de pèlerinages chrétiens et pratiques de dévotion en Phénicie maritime à l’époque proto-byzantine
10h30 Vincent Michel (Univ. Poitiers/HeRMA)
Emmaüs et les tribulations d’une histoire biblique (St-Luc 24, 13-35). Vers une nouvelle compréhension historique, archéologique et textuelle d’un lieu saint !
11h00-11h30 : Pause Café
11h30-12h00 Simon Dorso (Univ. Lyon 2/CIHAM)
Les pèlerinages chrétiens sur le territoire du second royaume latin de Jérusalem (XIIIe siècle) : mobilité contrainte, nouvelles traditions et conséquences matérielles
12h00-12h30 Jean-Michel de Tarragon (ÉBAF)
Le pèlerinage musulman et chrétien illustré par les photographies anciennes
12h30-14h00 : Déjeuner
14h-14h30 Marc Dugas (EPHE)
Le Jourdain comme cadre rituel. Le lieu associé au baptême de Jésus et la liturgie
14h30-15h00 Sylvia Chiffoleau (CNRS/LARHRA)
Des identités pérégrines : assignation et usage des « nationalités » lors du pèlerinage à La Mecque (1850-1950)
15h30-16h00 : Pause café
16h00-16h30 Elsa Grugeon (EHESS-IIAC)
Baliser la route de Jérusalem : un pèlerinage sous conditions
16h30-17h00 Norig Neveu (CNRS/AMU/IREMAM)
Mausolées et pèlerinages : miroirs de hiérarchies sociales en tension dans le sud de la Transjordanie, 1890-1940
Conclusion : Dominique Pieri (Ifpo)
Résumés
Frédéric Alpi (IFPO/UMIFRE 6 MEAÉ/CNRS)
Sites de pèlerinages chrétiens et pratiques de dévotion en Phénicie maritime à l’époque proto-byzantine
Du IVe au VIIe s., la route maritime de Phénicie était jalonnée de sites de pèlerinage chrétiens : certains présentaient un rayonnement d’abord local, promu par la volonté des évêques désireux d’asseoir l’autorité dogmatique et juridictionnelle de leur Église particulière ; d’autres sont à comprendre surtout dans le cheminement qui conduisait les pèlerins étrangers depuis le Nord vers la Palestine. À défaut de documentation archéologique, on reviendra sur le dossier littéraire du martyrion Saint-Léonce de Tripolis, qui joua un grand rôle, y compris dans les débats théologiques de cette époque. Plus au Sud, à Porphyréon, Sarepta et Bassa, des sanctuaires dédiés aux prophètes bibliques, pour lesquels on dispose aussi d’indices matériels, marquaient l’entrée en Terre Sainte.
Sylvia Chiffoleau (CNRS/LARHRA)
Des identités pérégrines : assignation et usage des « nationalités » lors du pèlerinage à La Mecque (1850-1950)
Dans une vision anthropologique classique, le pèlerinage est associé à la notion de communitas, une communauté homogène et égalitaire qui s’opposerait à la structure des sociétés en temps ordinaire, notion qui semble faire écho à une représentation idéale de la ‘umma qui, aux villes saintes de l’islam, se réunirait dans la communion et l’effacement des différences. Or, le pèlerinage à La Mecque apparaît traversé par la question des identités, et notamment de l’identité nationale en cours de construction du milieu du XIXe au milieu du XXe siècle. Avec la révolution des transports, les pèlerins viennent plus nombreux, et de toutes les régions du monde musulman, réunissant des « peuples se connaissant à peine de nom il y a encore peu d’années ». Le monde musulman est alors partagé entre la domination ottomane d’une part, et la domination coloniale d’autre part. Les puissances coloniales s’attachent à encadrer leurs « nationaux » (indigènes, sujets musulmans ou autre appellation), notamment en cherchant à mettre en place des formules acceptables et efficaces d’identification. De son côté, l’administration sanitaire mise en place au Hedjaz après la pandémie de choléra de 1865 s’attache à compter les pèlerins arrivant par voie de mer et à les classer par « nationalité », une nomenclature d’ailleurs mouvante et qui témoigne non pas de situations juridiques (la plupart des nationalités évoquées n’existent pas encore), mais de représentations, voire de stéréotypes. Si la grande masse des pèlerins se plie aux injonctions administratives, certains ont tendance à faire un usage transgressif de ces tentatives d’identification, de resserrement autour d’une identité nationale, entachée pour eux de domination coloniale. Ils cherchent alors à s’en délivrer, le temps du pèlerinage, pour se rattacher à une identité collective plus vaste ou plus rassurante, celle de l’appartenance ottomane, incarnée par la figure du calife, ou celle de la ‘umma des croyants, située au-delà et au-dessus des nationalités, intensément vécue/fantasmée lors du pèlerinage. Ou au contraire ils n’hésitent pas à en faire un usage raisonné et utilitaire, à travers des stratégies qui là encore se jouent du pouvoir colonial. Les lieux saints de l’islam peuvent ainsi apparaître comme un espace qui informe sur les usages, les pratiques et les représentations des nationalités avant les nationalités.
Estelle Cronnier (Univ. Lille 3)
Approcher, voir, toucher les reliques pendant l’Antiquité tardive : le témoignage des pèlerins au Proche-Orient
Cette communication vise à décrire et analyser les rapports complexes qu’entretiennent les pèlerins avec l’objet du pèlerinage, les reliques, restes matériels empreints de sainteté, dont ils attendent des bienfaits de toute nature, des plus pratiques aux plus spirituels. En effet, si les attentes sont diverses, les conditions et les possibilités d’accès auprès de l’objet de leur désir le sont tout autant. Afin de s’en faire une idée plus précise, seront convoquées diverses sources textuelles (récits de voyage, recueils de miracles, littérature hagiographique, textes épistolaires, etc.), qui respectent une unité de temps et de lieu : les sanctuaires du Proche-Orient, de la
‘naissance’ du pèlerinage aux invasions arabes.
Simon Dorso (Univ. Lyon 2/CIHAM)
Les pèlerinages chrétiens sur le territoire du second royaume latin de Jérusalem (XIIIe siècle) : mobilité contrainte, nouvelles traditions et conséquences matérielles
La perte de Jérusalem et de la majeure partie du royaume latin de Jérusalem en 1187 limite en grande partie l’accès des Latins aux principaux lieux de pèlerinages. Mis à part la brève récupération de Jérusalem (1229-1244) et d’une partie de la Galilée (1241-1266), les croisades successives s’avèrent incapables à rétablir l’autorité latine sur les sanctuaires et les centres de pèlerinages majeurs (Jérusalem, Bethléem, Nazareth). Cette situation force les pèlerins et le pouvoir latin à s’adapter et entraîne une réorganisation de la topographie sacrée au sein des territoires conservés par les Francs.
Cette communication entend présenter une réflexion en deux temps. Elle évoquera tout d’abord l’émergence au XIIIe siècle de nouvelles traditions le long de la côte palestinienne et les différentes initiatives latines visant à proposer des pèlerinages alternatifs aux grands sanctuaires perdus. Dans un second temps, on s’interrogera sur les témoignages archéologiques liés à la pratique du pèlerinage dans l’espace et au cours de la période considérés, et sur les conséquences de cette évolution sur l’organisation des sites et la culture matérielle.
Marc Dugas (EPHE)
Le Jourdain comme cadre rituel. Le lieu associé au baptême de Jésus et la liturgie
Au lieu associé au baptême de Jésus, les pèlerins mettent en actes ou sont confrontés à une déclinaison de rituels à la fois hiérarchisée et cohérente : baptêmes et pseudo-baptêmes « pour mémoire » ; bénédiction des Eaux dans ses variantes grecque-orthodoxe, copte, arménienne, abyssine, syriaque, au jour de l’Épiphanie mais aussi au moment de Pâques ; messe catholique de la fête du baptême de Jésus, au début du mois de janvier ; rituels new age, pratiqués par des chamans attirés par ce lieu saint pas comme les autres, etc.
Après avoir illustré et mis en ordre ce corpus, je m’interrogerai sur la spécificité du lieu saint du point de vue de l’anthropologie du rituel, dans l’économie des parcours pèlerins.
Elsa Grugeon (EHESS-IIAC)
Baliser la route de Jérusalem : un pèlerinage sous conditions
« Marcher dans les pas des prophètes de l’Islam », découvrir la « Terre sainte » musulmane, et témoigner « sa solidarité avec les Palestiniens » : c’est ainsi que se trouve le plus communément décrite la visite pieuse à Jérusalem, lors de l’enquête ethnographique que j’ai pu y mener entre 2011 et 2014 ; justifiée par la référence à des sourates du Coran et à des hadiths. La ville constitue bien souvent une étape sur la route du pèlerinage canonique, avant ou après le passage par les lieux saints de la péninsule arabique. L’esplanade des Mosquées, devenue désormais un archétype de lieu saint sous contrainte, dont l’accès est restreint, voire interdit, pour une proportion importante de la population palestinienne, se trouve toutefois visitée chaque année par des musulmans étrangers ; et les acteurs palestiniens du tourisme parlent d’un « nouveau marché ». La venue à Jérusalem de musulmans étrangers dans le contexte de l’occupation israélienne suscite cependant la méfiance d’une frange de la population palestinienne, et l’opposition franche de certaines personnalités religieuses et politiques. Aussi la visite pieuse est-elle validée ou non en fonction de son influence sur le contexte politique d’occupation. La prescription religieuse ne suffit plus, il s’agit également de définir les conditions d’un pèlerinage légitime ; le cadre juridico-légal religieux musulman doit intégrer le contexte politique actuel et s’y adapter. La communication que je propose se concentre ainsi sur les conditions de possibilités et les modalités actuelles du phénomène pèlerin à Jérusalem et propose une réflexion sur l’oscillation entre des pratiques présentées comme immémoriales, et les transformations liées à un contexte politique récent pour éclairer la place du lieu saint dans l’ethos musulman contemporain.
Vincent Michel (Univ. Poitiers/HeRMA)
Emmaüs et les tribulations d’une histoire biblique (St-Luc 24, 13-35). Vers une nouvelle compréhension historique, archéologique et textuelle d’un lieu saint !
La localisation du village biblique d’Emmaüs a donné naissance à une très abondante littérature surtout à partir du milieu du XIXe siècle avec les premières explorations en Palestine. À travers le cas unique d’Emmaüs, qui compte une dizaine de lieux possibles, se pose la question de l’authentification d’un lieu de pèlerinage majeur de Terre Sainte, de ses critères et de ses tribulations à travers l’histoire. Le problème de la localisation d’Emmaüs dans la tradition chrétienne prend ses racines dans la péricope de Luc (24, 13-35). Quittant Jérusalem le lendemain de Pâques, deux pèlerins retournent dans leur village. En chemin, ils font la rencontre d’un mystérieux voyageur. Ils reconnaissent en lui Jésus-Christ au signe eucharistique de la fraction du pain.
La présente étude montrera comment la connaissance de la Bible peut être éclairée aussi bien par l’étude de traductions différentes de celles que l’on utilise habituellement, que par le recours à différentes disciplines scientifiques comme l’archéologie, la géographie, la topographie ou l’ethnologie.
Norig Neveu (CNRS/AMU/IREMAM)
Mausolées et pèlerinages : miroirs de hiérarchies sociales en tension dans le sud de la Transjordanie, 1890-1940
Jusqu’à la fin de la période ottomane, la topographie sacrée du sud du Bilâd al-Shâm était dense et jalonnée de sanctuaires liés au récit biblique, à l’histoire islamique mais également tribale de la région. Ces sites, parfois partagés entre musulmans et chrétiens participaient à la définition des hiérarchies sociales locales, en particulier des autorités religieuses et politiques et représentaient des marqueurs territoriaux puissants. Cette topographie sacrée était dominée par deux mausolées : celui dédié au prophète Harûn/Aaron dans la région de Pétra et celui du compagnon du Prophète Muhammad Ja‘far b. Abî Tâlib, vers lesquels convergeaient tous les ans des pèlerinages régionaux. À partir de 1921, la mise en place du mandat britannique en Transjordanie s’est accompagnée de réformes foncières qui eurent des conséquences significatives sur les pratiques religieuses. Elles prolongèrent un processus d’institutionnalisation des waqf-s (fondations pieuses) entamé dès la fin de l’époque ottomane. Cette politique entérina une perte d’influence des notables locaux et une redéfinition des fondements de leur autorité.
À partir de la présentation de l’histoire des mausolées de Harûn/Aaron et de Ja‘far b. Abî Tâlib, entre les années 1890 et 1940, ma présentation reviendra sur les modalités locales de définition des autorités et des pratiques religieuses, dont les pèlerinages, et leurs tentatives de contrôles par les autorités politiques. L’étude de ces deux lieux saints, de leurs réinvestissements symboliques par les autorités ottomanes puis mandataires dans le cadre des réformes religieuses et des pratiques pèlerines y étant attachées permettra de comprendre les hiérarchies sociales locales et certains mouvements de résistance aux politiques étatiques.
Jean-Michel de Tarragon (ÉBAF)
Le pèlerinage musulman et chrétien illustré par les photographies anciennes
Des 30 000 scans de photos anciennes de la photothèque des dominicains de l’École biblique, on a extrait une trentaine de photographies illustrant soit les pèlerinages musulmans que sont le Naby Musa et le Naby Rubin, et aussi les pèlerinages chrétiens, qu’ils soient catholiques ou orthodoxes. Les périodes couvertes sont principalement la fin de l’époque ottomane, avant 1914, et quelques cas dans la période mandataire. Les fonds sollicités sont : les plaques de verre des pères dominicains, celles des pères assomptionnistes de l’ancienne Notre-Dame de France à Jérusalem, celles des pères-blancs de Ste Anne en vieille ville, et, en complément, quelques tirages papier des mêmes collections, utilisés lorsque les verres ont malencontreusement été perdus, et que des albums de contacts les remplacent. On a aussi un cas de pèlerinage politique italien, illustré par un album des salésiens. Pour information, on montrera aussi 2 scans d’un pèlerinage à La Mecque en 1908, dont les petits tirages nous sont passés entre les mains, en provenance des dominicains du Caire.
Organisateur
Bertrand Riba (Chercheur MEAE, Ifpo)
Date et Lieu
Jeudi 13 juin, à partir de 9h en salle de conférence de l’EBAF
Contact(s)
Bertrand Riba : b.riba@ifporient.org
Langue
Journée d’étude en langue française